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mardi 9 mai 2017

Fleur de Rocaille à Mouriès ou quand l'émotion est reine

Le projet de Fleur de Rocaille a débuté il y a près de 4 ans et peut, à juste titre, représenter la définition même du projet. Avec Fred Ripert, nous avons eu droit aux hauts et aux bas les plus classiques, ces périodes de démotivation et de doutes, ces instants de frénésie et d'exaltation, qui laissent présager un aboutissement heureux aux optimistes que nous sommes.

Je ne remercierai jamais assez Fred de m'avoir suivie sur cette idée de film et je salue ses idées aussi farfelues que poétiques qui ont donné ce caractère au film que vous allez découvrir en fin d'article. Nous sommes fiers du résultat et émus du chemin parcouru ensemble. 

Prix spécial du Jury au festival des Diablerets avec Laurence Guyon qui a écrit la voix off de Fleur de Rocaille
Photo : Olivier Broussouloux
Pour introduire le sujet ou amener à une simple réflexion, voici un texte que j'ai écrit pour la revue Passe Murailles en repensant à cette belle expérience de Fleur de Rocaille. Passe Murailles est une revue pyrénéenne sur la montagne, l'escalade, les voyages, basée sur la sincérité des expériences et qui renaquit de ses cendres en novembre dernier. Toutes les photos sont de Raphaël Fourau sauf mention.

"Qu’est-ce qui fait qu’une voie reste gravée dans la mémoire d’un grimpeur, qu’il s’en souvient des années après sa réalisation, que son corps frissonne en y repensant ? Certainement pas la cotation comme d’aucuns pourraient croire. Une émotion ne naît pas d’un chiffre, ni d’un symbole écrit ou tout au moins conventionnel. Rappelons bien que le système de cotation est là à titre indicatif pour donner des repères dans une communauté nécessitant une hiérarchie. A part ce point et celui de flatter l’égo ou le mettre à mal, c’est au choix, la cotation n’apporte pas d’autre information.

Fred Ripert suspendu dans les airs à l'arrivée au relais
Pour marquer à ce point un grimpeur, tout est question d’histoire, de partage et d’intéractions. Fleur de Rocaille est une de ses voies à mes yeux et mon histoire avec elle commence il y a près de 4 ans. Nouveaux dans la région, nous étions allés découvrir la falaise de Mouriès sur les conseils d’un ami de Vincent : François Tournois, très fort grimpeur des années 90 à aujourd’hui. Epatée par la finesse de cette lame de rocher et par la compacité de son caillou, cette falaise produisait déjà en moi un profond sentiment de respect et il s’en dégageait une sérénité étonnante.

A Mouriès, il faut être humble, la falaise est reine. Les voies d’échauffement donnent le ton. A chaque nouvelle partition proposée par le rocher, il faut s’investir entièrement, corps et esprit, et ce, dès que notre dernier appui quitte le sol. Les voies dans le 6eme degré ne se laissent pas dompter facilement. C’est au moins une évidence !

Rocher compact et plaisir
Puis mes yeux se sont posés sur cette ligne ouverte par Laurent Jacob, au centre d’un petit bout de caillou de 10 m de haut légèrement décroché de la falaise. Qui peut savoir ce qui m’a attiré dans cette ligne ? Ce qui m’a fait rêver ? Peut-être la pureté du calcaire à cet endroit, son aspect à la fois si lisse et si prisu. Mais il ne faut pas se laisser tromper par les atouts de la belle. La particularité de la falaise est de présenter des prises rentrantes, comme des fentes évasées, laissant penser du sol que les préhensions seront multiples. En revanche, une fois sur la paroi, de par sa rectitude, celle-ci semble désespérément lisse. Il est nécessaire du prendre du recul pour repérer la position de la prise visée parmi les dizaines d’autres semblant, à première vue, elles aussi, tout autant tenables. Ce type d’escalade est particulièrement exigent. Il requiert de la précision et un engagement de tout le corps à chaque mouvement. La moindre erreur laisse peu de place à une ultime réorganisation. 

Treuil et gros attirail lors du tournage de Fleur de Rocaille
Il y avait aussi ce nom, effacé puis réécrit, qui marque l’évolution et le temps qui passe.  De nos jours, ce type d’escalade est beaucoup moins ou beaucoup plus rarement apprécié que les dévers. Pour autant, l’escalade exigeante a été la quintessence de notre pratique dans les années 80. Une partie de l’histoire de l’escalade s’est écrite ici. Ma curiosité était piquée à vif de me confronter à ce qui avait pu être le haut niveau d’une époque, d’imaginer l’ambiance au pied de la falaise en collant fluo, de se remémorer ce temps qui a marqué le début de l’escalade sportive et de lui rendre hommage par l’action. Tout comme peuvent le faire dans un autre domaine les Pyrénéistes en répétant les voies Ravier, Despiau ou Rabada-Navarro.

Un nom qui laisse transparaître l'histoire
Photo : Caro
A l’ouverture, Fleur de Rocaille était cotée 8a et est devenue le premier 8a féminin après sa rélisation par Catherine Destivelle en 1986. Peu de temps après, Fleur de Rocaille sera décotée pour des raisons purement machistes. Le topo des Alpilles rend d’ailleurs hommage à ce fait en annonçant la voie comme « le 7c+ le plus 8a des Alpilles » !

Fred Ripert en pleine installation sur les fines strates de Mouriès
Mais le sujet n’est pas là. Cette voie m’a attirée et je m’y suis plongée totalement. La découverte des mouvements dans une voie nouvelle est le moment que je préfère ! Que nous réserve ce petit bout de calcaire ? Comment faut-il l’aborder ? Avec quelle intensité ? Et quels mouvements va-t-il falloir imaginer pour résoudre le problème proposé par le rocher ? L’inconnu dans toute sa splendeur et notre seule imagination comme solution de secours, c’est l’un des meilleurs moments de l’escalade libre !

Et sur ce point, Fleur de Rocaille a tenu toutes ses promesses. Il a fallu se creuser la tête en abordant chacune des sections. Une fois les solutions trouvées, l’escalade devenait moins complexe au fur et à mesure des répétitions et l’enchaînement jusqu’au dernier point de la voie s’est avéré assez rapide.

Le passage clef de Fleur de Rocaille
Ce qui m’a le plus étonné lors de ce processus de travail de voie, c’est la diffculté que j’ai eu à trouver des compagnons de cordée pour venir sur cette belle falaise. Le style d’escalade si exigent rebutait bon nombre de copains et la réputation de ce site à cotations difficiles les amenait à se décider pour d’autres sites du Sud-Est de la France. Heureusement, ma bonne copine Céline a accepté de sortir des sentiers battus, elle aussi pourtant adepte des dévers, et a jeté son dévolu sur Fleur de Rocaille.

Nous y sommes retournées plusieurs fois et même si le début de la voie se laissait faire docilement, les choses se sont compliquées dans le passage clef sommital. Deux solutions s’offraient à nous, aucune ne nous satisfaisant pleinement. Notre choix s’est finalement porté sur une séquence plus qu’aléatoire qui nous amenait au bac salvateur. Mais le propre de l’aléatoire est bien de pouvoir nous surprendre ! Alors nous l’avons essayée cette séquence jusqu’à ce que la ligne se laisse dompter, le même jour pour toutes les deux. Journée de faiblesse de Mouriès ? Ou courage et détermination bien plus marqués de notre part ? Le fait est que ce jour-là, la tension, l’émulation et le partage ont créé la plus belle des émotions - la joie de réussir à deux après des mois d’efforts – et ont rendu cette voie et ce lieu absolument indélébiles dans mon coeur et mon esprit."



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