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jeudi 9 novembre 2017

Le Grand Bleu et grande voie après travail : comme un nouveau sport !



Depuis quelques temps, j’étais titillée par l’envie de découvrir une autre facette de notre sport : les grandes voies après travail. J’étais curieuse de me confronter aux contraintes physiques et mentales à surmonter pour réaliser de telles voies. 

Pour ne pas m’imposer trop de contraintes justement, j’ai choisi, pour commencer, une voie facile d’accès, avec peu d’approche, pas trop longue et dans un style d’escalade que j’affectionne. Me voilà lancée à l’assaut du Grand Bleu à Balme. Cette voie, globalement verticale, d’environ 200 m, propose 5 longueurs (7c, 8a, 7a+, 8a/+ et 7b+) sur un calcaire abrasif à gouttes d’eau. Déjà, sur le papier, c’est un bon défi pour moi qui ne grimpe pas beaucoup plus de 4 longueurs en falaise !

L’autre contrainte est de trouver quelqu’un avec qui partager l’aventure. Et la contrainte n’est pas des moindres… Il faut trouver une personne qui a envie d’aller dans la même voie, qui a le niveau pour s’amuser dedans, car ce genre de projet ne se fait pas à sens unique, avec qui on se marre et qui aura la patience d’assurer longtemps pour travailler les longueurs et qui pourrait aussi trouver des méthodes salutaires ! Gros CV nécessaire pour ce poste ! Heureusement, Fab répond à tous les points et, après avoir grimpé un paquet de jolies voies dans la région récemment, il reprend goût aux escalades exigeantes de Haute-Savoie. 

En décembre 2016, j’étais allée rendre une première visite au Grand Bleu avec Cédric et, même en tombant dans chacune des 4 premières longueurs, je m’étais dit que c’était à tenter.

Premier repérage un an avant!

Du coup, le 1 er novembre, avec Fab, nous voilà au pied de la première longueur, pas trop tôt pour ne pas avoir froid. Je ne sais pas trop à quoi m’attendre au niveau de la forme mais, ayant déjà un premier repérage, j’ai envie d’essayer à fond et de voir où j’arrive à la fin de la journée. Fab, lui, veut juste découvrir et repérer pour éventuellement y retourner si la voie lui plaît. Mais ce jour-là rien ne se sera passé de manière idéale… 

Malgré l’heure, il ne fait pas si chaud et même avec mes lointains souvenirs, je tombe en haut de la première longueur. Redescente au sol et, 10 min après, je repars et enchaîne la 1ere longueur tandis que Fab la flashe en second. S’ensuit une longue montée de travail pour déchiffrer L2, un court repos à R1 et au prix d’un bon combat, j’enchaîne la longueur ! 4 longueurs dans les bras au lieu de 2 mais le moral est là. Malheureusement, en me rejoignant, Fab casse une prise plutôt importante, puis une autre. Oups… Il vaudrait mieux enchaîner toute la voie aujourd’hui car je ne sais pas si je repasserai !!

L2 8a
Pour L3, Fab part déchiffrer la longueur et qui flashe au mm. Pour le coup, je n’ai pas trop perdu de jus à cette longueur. Je commence à y croire, il ne reste que 2 longueurs… Longue montée de travail dans L4 avec un crux en légère dalle à la fin. Pouah qu’elle est dure cette section ! Impossible de trouver une séquence qui me convient et qui est répétable… J’hésite à redescendre et à essayer… Mais Fab me pousse, on est là, même s’il n’y a qu’une toute petite chance pour que ça passe, il faut tenter ! Et puis avec l’influx, on ne sait jamais…

L3 7a+
Alors j’essaye et j’essaye d’y croire. J’arrive à cette section plutôt bien et tombe sans même avoir le sentiment que j’avais une chance, « sous calée » comme on dit ! Il faut trouver une méthode. Je m’acharne et puis il y a le déclic, je trouve ce qui me convient, ça fonctionne et j’enchaîne la section en entie. 

A nouveau, j’hésite pour y retourner. J’ai 7 longueurs dans les bras, dans un niveau élevé pour moi, soit quasiment deux journées de la falaise en une ! Là où, en falaise, j’aurais clairement décidé d’arrêter de grimper en écoutant mon corps et mes doigts qui hurlent, perchée à ce point, j’hésite encore car il y a l’espoir de réussir aujourd’hui et de ne pas avoir à refaire toutes les autres longueurs à nouveau un autre jour… et je me surprends à décider d’y retourner.

Le crux de L4 8a/+
C’est là la différence avec la falaise et c’est bien pour ça que je suis venue. On se découvre des ressources insoupçonnées, un influx si difficile à maîtriser en falaise se manifeste ici de manière presque automatique. Qui n’a jamais été surpris de l’énergie fournie par soi-même lors de longues journées en paroi ?

Malgré la fatigue, l’envie est plus forte et j’arrive dans un bien meilleur état à la section. Ma nouvelle méthode fonctionne bien et je passe les pas qui me posaient problème. Je suis quasiment à la fin de la section quand je peine à trouver le pied, je passe trop de temps et sans même m’en rendre compte, mes doigts se sont ouverts et je suis dans le baudard. Déception ! On y croyait tous les deux ! Pour le coup, la fatigue m’a rattrapée et qu’un cruel manque d’énergie s’est fait sentir.

Une autre du crux de L4
Fab me rejoint et se propose d’aller repérer la dernière longueur qu’on ne connait ni l’un ni l’autre. La nuit commence à tomber… On ne la connait tellement pas, qu’on se trompe de longueur et finissons dans un 6b… Le temps qu’on s’en rende compte, il fait déjà trop sombre pour changer d’option. Finalement, heureusement que je n’ai pas enchainé cette 4eme longueur !! J’aurais buté si près du but pour une belle bêtise. (Tiens, ça me rappelle quelque chose… #nuptse2016). Finalement, la vie est bien faite !

En tout cas, ça faisait longtemps qu’on n’était pas redescendu de nuit, satisfaits voire épuisée pour ma part ! 

C’est curieux comme la notion d’échelle change en fonction des activités pratiquées. Ici, c’est la réussite d’une longueur entière qui nous éloigne de notre but. En falaise, ce serait plutôt une section et en bloc souvent plutôt un mouvement. On a beau enchainer toutes les autres longueurs d’une grande voie, celle qui nous résiste nous empêche d’atteindre l’objectif escompté. 

Ce soir-là, je reste perplexe. En falaise, j’aurais été contente de faire un 7c et un 8a dans la journée et de buter dans la dernière section d’un second 8a/+. Rien que de faire 7 longueurs dans ce niveau m’aurait largement suffi. « Tant pis, je le ferai un autre jour ce 8a/+» me dirai-je. La voie ne bougera pas et surtout l’effort à fournir pour retourner l’essayer ne sera pas conséquent. Mais le travail de grande voie est en fait d’une toute autre exigence… Elle implique, en plus de l’effort à fournir pour retourner au pied de la longueur essayée, une nouvelle variable : l’unité de temps. Il faut tout réussir dans la même journée, être performant tout au long de la journée, pas ou peu de coups de mou autorisés. Je découvre alors une nouvelle facette de notre pratique... qui me fait relativiser sur ma propre façon d’aborder la falaise, de manière oisive. Evidemment, nous pourrions nous imposer cette exigence temporelle en falaise. Si nous le souhaitons ou non, à nous de le faire. Mais dans les tous cas, en grande voie, elle fait partie du package !

La satisfaction personnelle est une toute autre histoire. Tout est relatif à l’objectif que nous nous sommes fixé. Et même s’il est parfois difficile de savourer chaque petite réussite qui nous rapproche de l’objectif, c’est pourtant bien la condition essentielle pour apprécier le processus nouveau qui se met en place.

Contents d'être là !

Trois jours plus tard, nous sommes de nouveau au pied de la voie, un peu plus tôt, au cas où… Le fait d’avoir déjà enchainé ces 3 premières longueurs ajoutent un peu de stress car il faut les refaire. « Et si je n’y arrivais plus… ? Et si… ». Pour autant je ne me laisse pas la possibilité de tomber. Malgré la mauvaise préhension que j’ai dans le crux, je sers plus fort la prise et, tremblante, j’arrive au relais. Pour la deuxième longueur, c’est pareil. J’arrive toujours à tenir la prise cassée par Fab en forçant davantage et après avoir tenté de gérer le tremblement de mes gambettes, je me retrouve dans le mur final. Je rassemble toute ma lucidité, saute la dernière dégaine et atteins le relais.
 
Fin de L2 8a

Trembler comme ça ne me ressemble pas. Est-ce la pression du dernier point atteint et de faire aussi bien ou celle que je me suis mise car je ne voulais pas tomber ou bien est-ce simplement une petite hypoglycémie en commençant dans du si dur tôt le matin ? J’opte pour la seconde option et mange…

C’était bien ça car le 7a+ suivant déroule et je prends du plaisir à grimper aisément. Pour le moment c’est le sans faute et je suis enfin au pied des difficultés pour lesquelles je suis venue. Finalement, l’effort à fournir n’était pas si grand quand tout déroule !

La belle dalle de L3
Trop pressée d’en découdre, je me repose à peine et pars avec 15 dégaines au baudard, la corde de hissage et le matos de relais, à l’assaut de cette longueur. Je connais bien la longueur pour le coup et comme juste en dessous, je me balade sur le mur et ne voit quasiment pas la difficulté qui m’a tant fait tombée l’autre jour ! Le moral donne des ailes !!

Conforts sur la vire de L4 avec tout ce qui est important là-dedans ! Miam !
Il est 12h30, en 2h30 nous sommes arrivés à la fin des principales difficultés, c’est l’heure du casse-croute. La dernière longueur en 7b+ nous est complétement inconnue. On s’en méfie un peu mais nous sommes confiants vu l’heure. Néanmoins quelques gouttes commencent à nous tomber dessus et elle est clairement en dalle… 

J’abrège le repas et pars voir de quoi il retourne. Après une bonne errance pour trouver les méthodes sans une trace, j’arrive en haut de la voie, totalement ravie.

Ahah !
J’étais venue pour découvrir une nouvelle facette de notre sport et je n’ai pas été déçue. Le travail de grande voie permet de pousser notre corps dans des retranchements que, personnellement, j’ai plus de mal à atteindre en falaise. Notre corps a des limites mais ce ne sont souvent pas celles que nous croyons. Merci Fab pour ces deux journées et pour ces sensations et émotions procurées et partagées. Celles-ci aussi sont uniques !